Darkside : Avancement (2)

Si j'ai un peu traîné à donner des nouvelles, cette semaine, ... ben c'est un peu expliqué dans mon article précédent ^^ Hésitation, flemme... 

Enfin bref, l'important, c'est que ce soit - au moins partiellement - surmonté !

Et donc, j'ai enfin fini de réécrire la fin de "La rencontre"* et, comme promis, je vous la dévoile ici** !

Ca raconte donc la rencontre*** entre Joshua (mon personnage principal***) et Zeel White (un personnage très important de l'histoire)****. Je précise quand même que le texte ci-dessous, comme la plupart de ce qui touche au "Darksideverse" est plus ou moins du premier jet en ce qui concerne la forme : j'ai corrigé les répétitions qui me sautaient aux yeux et les fautes d'ortho-grammaire, mais je me suis pas fait ch... à aller plus loin ^^

Enjoy quand même ^^




* : je sais, c'est pas original, mais je manque d'inspiration pour les titres, en général.

** : vu que c'est assez long, pour une fois, je mets mes notes de bas de page en milieu de page ^^

*** : sans blague ?!

**** : faudra que je fasse une page de présentation des persos, mais y'en a beaucoup, vu que l'histoire se déroule sur plus de 500 ans...*edit* 02/02/16 : au fait, c'est fait : ici pour le "contemporain", pour le post-apo :)



J'étais tranquillement en train de faire chauffer l'eau du thé - comme tous les jours vers seize heures trente, lorsque j'entendis sonner à la porte. J'étais surprise : je n'attendais pas de visite. Un regard par l'oeilleton me dévoila la silhouette bleue et longiligne de ma nièce.

- Janille ! Que me vaut le plaisir ?, m'exclamai-je en ouvrant la porte.
- Eh bien... j'avais envie de prendre le thé avec toi. J'ai même ramené des biscuits !
- Je ne peux pas dire non à une offre comme celle-là ! Entre donc !

Elle me suivit à l'intérieur, son sachet de gâteaux à la main, avec cet air compassé des pré-ados en visite. Je me doutais bien qu'elle n'était pas venue que pour le plaisir de ma compagnie, mais je préférais lui laisser le temps de se poser, qu'elle me parle quand elle serait disposée à le faire.

Bien que sa mère soit mon aînée de presque deux ans, je m'étais plus ou moins retrouvée dans le rôle de la grand-mère, vis-à-vis de ma nièce. Il faut dire que Sylvie l'avait eue à plus de soixante ans, ce qui faisait tard même pour une mutante, et que je venais moi-même d'avoir mon premier petit-fils à cette époque.

Je continuai donc mes préparatifs, choisissant le mélange que nous allions déguster cette après-midi - un thé noir aux framboises - et sortant la porcelaine, tandis que Janille déposait avec soin ses biscuits dans une assiette. Quand tout fut prêt, nous migrâmes vers le salon, avec la solennité d'une procession religieuse, puis nous nous installâmes et commençâmes notre dégustation.

J'observai ma nièce tandis qu'elle entreprenait de me raconter les dernières anecdotes de son quotidien. Comme à son habitude, elle était habillée bien trop légèrement pour ce début d'automne : un short en toile jaune poussin et un polo blanc à manches courtes. Un des avantages d'être couverte de fourrure, supposais-je. Elle avait relevé ses cheveux en une queue de cheval très haute - une coiffure qui me rappelait sa mère au même âge - et ses mains portaient les traces d'un vernis à ongle écaillé dont le rose vif jurait avec le bleu électrique de son poil.

En opposition avec son apparence exotique, sa conversation, elle, correspondait tout à fait à ce qu'on pouvait attendre d'une enfant de son âge : l'école, les copines, les hobbies... Bien qu'elle fréquentât un établissement adapté à son niveau intellectuel, ce n'était pas très différent de ce que j'avais pu entendre chez mes petits-enfants.

Enfin, après avoir prononcé le dernier mot d'une diatribe enflammée contre l'infirmière qui ne la laissait pas utiliser ses dons de guérison sur les bobos de ses camarades, elle en vint au vif du sujet :

- Dis-moi, Tante Suzanne, tu peux me parler un peu de Papa ?

Je soupirai. Si ma soeur n'avait jamais caché à sa fille la colère qu'elle éprouvait pour le géniteur de celle-ci, elle avait cependant eu l'honnêteté de ne pas chercher à la rallier à sa cause. Janille avait appris dès son plus jeune âge que tout ce qui se rapportait à son père était banni de la maison, mais qu'elle était encouragée à aborder le sujet avec n'importe quel autre membre de la famille, tant que sa mère était hors de portée d'ouïe.

- Tu ne ferais pas mieux de demander à ton frère ou à quelqu'un d'autre ? Je n'ai jamais été très proche de lui, tu sais.
- Ben en fait, c'est lui qui m'a conseillé de venir te voir, dit-elle, un peu gênée. Franklin, il voit l'avenir, pas le passé. Je veux dire, il m'a déjà raconté plein de trucs de quand il était petit, quand il a vécu avec Papa après la mort de sa mère, par exemple. Mais toi, il paraît que tu étais là quand Papa et Maman se sont rencontrés  pour la première fois...
- Eh bien, c'est vrai, mais je me demande si c'est bien de ton âge...
- Oh allez ! Si Papa a tué des gens, tu sais, t'es pas obligée de donner des détails, si ça te gêne.

Je ne pus m'empêcher de rire. Joshua avait mauvaise réputation, et personne, même ses amis, n'avait jamais cherché à le cacher à sa fille. Mais cela ne voulait pas dire que Janille était au fait de tous les détails que cela impliquait. A son âge - et Dieu merci - "avoir tué quelqu'un" était encore quelque chose de très abstrait.

- Ton père n'a tué personne cette fois-ci, répondis-je, mais il a été gravement blessé.
- C'est possible, ça ? interrogea-t-elle, surprise.
- A l'époque, oui. Sa régénération est beaucoup plus rapide maintenant, à ce que je sais. Mais à l'époque, il lui a fallu plusieurs heures pour se remettre complètement de sa blessure.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- C'était en 1960, au mois d'août...

* * *

... Ta mère avait dix-neuf ans et demi, et moi, presque dix-huit. Elle avait déjà du succès, à l'époque, mais moins pour son talent que pour son étrangeté, hélas, et aussi un peu parce qu'elle était la fille du Sénateur Howard. Elle n'a jamais nié que ça avait facilité sa carrière, encore que je demeure certaine qu'elle n'aurait pas eu besoin de ce soutien.

Mais ce n'est pas le sujet.

C'était un peu plus de sept mois après la mort de Robert - tu sais, Robert White, l'ami de ton grand-père qu'elle avait épousé et qui a eu un accident de voiture - et elle commençait à remonter la pente. Elle s'était noyée dans le travail pour tromper son chagrin, tu la connais, et là, elle avait décidé de partir en tournée.

Notre prochaine étape était New York. Je dis "nous" parce que déjà à l'époque, je suivais sa carrière de près et je servais d'assistante à son manager - ça ne plaisait pas beaucoup à nos parents parce que ça me faisais négliger mes études, mais au bout du compte, je me suis obstinée, et tu connais la suite.

Bref, nous venions d'arriver à La Guardia, et nous apprêtions à entrer dans l'aérogare, où nous attendait une foule de fans, de journalistes et de curieux. C'était la première fois que nous mettions les pieds dans la Grosse Pomme, et bien que Sylvie ait endossé le masque impassible de Zeel White, je savais qu'elle était presque aussi excitée que moi. En plus des concerts, j'avais prévu de l'emmener faire un peu de tourisme, pour la divertir un peu, et nous étions impatientes de quitter l'aéroport. Comme tu t'en doutes, ça ne s'est pas passé comme prévu.

Aujourd'hui, être un mutant est relativement bien vu. Je sais, il y a des imbéciles, dans ton école, pour se moquer de tes poils, mais tu sais, des imbéciles comme ça, il y en a partout. Les gens ont peur de ce qu'ils ne connaissent pas. Mais si je croise quelqu'un et que je lui dis "moi, j'ai des amis mutants", leur réponse sera plutôt "waouh, c'est cool" qu'autre chose. Bon, je ne nie pas qu'ils seront un peu jaloux, mais tu vois ce que je veux dire.

A cette époque, par contre, c'était très différent. Sylvie était la seule mutante connue au monde. C'était une curiosité. Il y avait ceux qui croyaient que ce n'était qu'un effet de publicité, ceux qui pensaient qu'il s'agissait d'une extra-terrestre, ceux qui voyaient carrément en elle un démon de l'enfer ou une autre abomination... Sans oublier ceux qui n'appréciaient simplement pas sa musique. La foule qui nous attendait dans le terminal - il n'y en avait qu'un, à l'époque - n'était pas vraiment hostile, en fait, mais il y avait quand même une certaine agressivité dans l'air. C'était la plus grosse étape de la tournée, et il y avait plein de représentants de magazines à succès.

A peine arrivés, toute notre troupe a été mitraillée par les flashs et assaillis par les micros des journalistes. Il y avait un de ces vacarmes ! Le manager et moi avions nos consignes, et Zeel jouait son rôle à la perfection. Dès son entrée dans le bâtiment, elle s'est mise à flotter au-dessus du sol - pour des raisons de sécurité, il ne fallait pas qu'elle vole trop haut, et puis le plafond n'était pas assez élevé pour que ça fasse tout son effet. Tout le monde a commencé à faire des "oooh", tu imagines, et on s'est pris un nouvel assaut d'appareils photos. Elle portait une de ses tenues de scène, tu as déjà vu les photos, la combinaison-tunique argentée avec la cape blanche. C'était magnifique.

Et c'est pour ça que personne n'a rien vu quand le fou a jeté sa grenade.

Ca a été très rapide. Le truc est tombé à nos pieds, ta mère s'est retournée, elle m'a attrapée par le bras et a commencé à s'envoler pour de bon - elle a failli me déboîter l'épaule - puis, tout d'un coup, j'ai vu une silhouette bondir - mais vraiment bondir, comme un puma - et se jeter sur nous. La première chose à laquelle j'ai pensé, c'est "il a visé trop court, il va se ramasser". Et c'est ce qui s'est passé. Sauf qu'il l'avait fait exprès : c'était la grenade, qu'il ciblait, et une demi-seconde plus tard, ça a explosé.

Sylvie m'a reposée et s'est avancée prudemment vers le cadavre. Il était allongé de tout son long, face contre terre, bras étendus. Je me rappelle avoir pensé qu'il n'y avait pas beaucoup de sang ; son corps avait absorbé tout l'impact et la flaque rouge qui commençait à s'étendre était... eh bien moins impressionnante que ce à quoi je m'attendais. J'avais entendu ton grand-père raconter ses souvenirs de guerre - en cachette, il me trouvait trop jeune pour entendre ça - et j'imaginais bien pire. Ce n'est que plus tard, quand la police a enfin pu faire son travail, que j'ai réalisé à quel point on l'avait échappé belle.

Ton père, donc. Etendu comme ça, il avait l'air encore plus grand que nature. Il faisait la même taille que ta mère, à l'époque. Quand Sylvie s'est approchée, il a tourné la tête et lui a chuchoté quelque chose, avant de fermer les yeux et de ne plus bouger.

Autour de nous, c'était le chaos. Ca criait, ça s'agitait dans tous les sens... Moi-même, j'étais complètement sous le choc. Sylvie m'a appelée et j'ai obéi, comme une automate.

"Il a dit qu'il allait guérir" m'a-t-elle annoncé "mais qu'il ne fallait pas laisser les secours approcher".
"Il est... comme toi ?" ai-je demandé.
Elle a hoché la tête :
"Il a dit qu'il était un mutant."
"Mais pourtant, il a l'air... normal."

Elle a haussé les épaules, aussi perplexe que moi. Comme je t'ai dit, à l'époque, il n'y avait qu'elle. Je m'attendais donc à ce qu'il ressemble plus à ta mère. Tout ce qu'il avait pour lui, c'était sa taille, et peut-être la façon dont il avait sauté par-dessus la foule.

"Il devrait être mort. Moi, à sa place, je n'aurais pas survécu. On n'est peut-être pas faits pareils".

A ce moment, son manager s'est approché et a tenté de lui faire quitter les lieux. Elle a refusé et s'est mise à crépiter - tu l'as déjà vue, quand elle est très en colère. Il n'a pas insisté. Elle est restée quelques secondes à regarder le corps, puis elle a dégrafé sa cape et l'a étendue sur lui. Ensuite, elle s'est assise en tailleur et s'est mise à flotter au-dessus de lui.

Pendant ce temps, le service de sécurité faisait son travail et la situation se calmait petit à petit. La police de l'aéroport était intervenue et avait maîtrisé le lanceur de grenade - un fou qui prenait ta mère pour une extra-terrestre venue conquérir le monde, tu imagines ? - et les secours étaient en train de se frayer un chemin dans la foule pour s'occuper des victimes. Je dis "les" parce que même si, en-dehors de ton père, personne n'avait été touché par la grenade, plusieurs personnes avaient fait un malaise, et certaines avaient été blessées dans la cohue.

Quand ils sont arrivés devant Sylvie, ils lui ont évidemment demandé de se pousser pour qu'ils puissent intervenir. Elle a refusé, comme promis à ton père. Le ton est monté assez vite. Elle donnait l'impression de vouloir en griller un ou deux, mais elle s'est contentée de produire des arcs électriques un peu partout sur elle, ce qui les a dissuadés de venir trop près.

Pour ma part, je me creusais les méninges pour trouver un argument qui les convaincrait de rester à distance. Au bout d'un moment, j'ai eu une idée - pas exceptionnelle, mais qui a marché : je me suis avancée vers l'un des infirmiers et je lui ai glissé à l'oreille que si Zeel ne voulait pas qu'ils touchent la victime, c'était parce que celle-ci lui avait dit être contagieuse et que seuls les mutants étaient immunisés. Il était un peu sceptique, tu t'en doutes, mais j'ai expliqué que ma soeur ne voulait pas le dire à voix haute parce qu'elle craignait que tout le monde panique. Ca lui a paru assez crédible pour qu'il le répète à ses collègues. Il y a eu ensuite quelques délibérations, ce qui nous a fait gagner encore un peu de temps, et finalement, ils ont commencé à évacuer le terminal. Les gens ont protesté et ont demandé pourquoi mais, heureusement, rien n'a filtré et tout s'est passé plutôt bien. La plupart de la "suite" de Sylvie a dû partir avec les visiteurs, mais le manager et moi avons obtenu de pouvoir rester sur place - quoi qu'à distance - afin de "prendre soin de Zeel, qui avait été stressée par l'évènement". Enfin, à peu près une heure après l'attentat, le corps médical est revenu à la charge avec l'équipement approprié.

Ta mère a entendu assez des discussions des médecins pour comprendre ce qui se passait et jouer le jeu vis-à-vis de mon invention. Néanmoins, elle hésitait sur la conduite à tenir : d'un côté, elle avait promis de protéger ton père ; de l'autre, si mon bluff avait permis de gagner du temps, il ne tenait plus face au matériel des infirmiers.

Heureusement, ton père - le connaissant, je pense qu'il l'a fait exprès - a choisi ce moment pour reprendre conscience.

"Ecartez-vous tous" a-t-il dit, et tout le monde a obéi. "Miss White" a-t-il ajouté "pouvez-vous emprunter des bandages à ces messieurs et venir me les poser ?"

Sylvie a obéi, aussi curieuse que soulagée de voir qu'il ne lui avait pas menti. Ton père bougeait au ralenti, et ça se voyait qu'il avait mal. Il s'est assis péniblement en gardant tout le temps une main pressée sur le ventre. La grenade l'avait bien amoché.

Oui, "y'avait des morceaux partout". Tu rigoles, mais tu aurais moins fait la fière si tu avais été là, je te le promets ! Je crois que sa peau avait fini de cicatriser, mais ça ne devait pas être le cas à l'intérieur. Ta mère m'a dit, plus tard, qu'il était brûlant. Il devait avoir beaucoup de fièvre.

Toutes les personnes encore présentes, moi comprise, ont regardé la scène avec stupéfaction. J'en ai vu un ou deux se signer, d'ailleurs. Ta mère a donc entrepris de découper ce qui restait du t-shirt de ton père - il s'habillait encore à peu près normalement, à l'époque - et s'est mise au travail. Les médecins ont protesté qu'il faillait nettoyer, désinfecter, mais ton père a refusé. Ce n'est que quand Sylvie a eu terminé de le bander et l'a aidé à se mettre debout qu'il a accepté qu'elle l'accompagne aux toilettes pour se débarbouiller. Et encore, il d'abord demandé qu'elle nettoie par terre - en se servant de sa cape, qui était fichue, de toute façon.

Non, on ne parlait pas encore d'ADN, à l'époque, mais c'était un peu pour la même raison : il ne voulait pas qu'on récupère des échantillons de son sang pour l'analyser.

Un docteur a fait remarquer à ton père qu'il allait contaminer tout l'aérogare avec son virus, à se balader comme ça. Il a souri, m'a fait un clin d'oeil et a déclaré qu'il m'avait raconté des bobards pour qu'on le laisse guérir tranquille.

Bref, nous avons finalement quitté l'aéroport avec plus d'une heure de retard. Même si une partie de la foule était rentrée chez elle, il restait encore du monde pour nous accueillir à la sortie, surtout des journalistes. Les photos de l'époque ne rendent pas justice : c'était grandiose. Ton père était torse nu, à l'exception des bandages qui lui couvraient tout l'abdomen, et il avait passé un bras autour des épaules de ta mère, qui le soutenait en retour. Ils s'étaient un peu nettoyés, certes, mais leurs vêtements étaient pleins de taches de sang. Sylvie avait l'air d'une Valkyrie - tu sais ce que c'est ? - et les journalistes n'ont pas manqué de faire la comparaison, le lendemain.

En attendant, on s'est engouffrés tant bien que mal dans les véhicules qui nous attendaient - tes parents, le manager et moi, dans la limousine blanche qui nous avait été réservée. Ton père a demandé que nous l'emmenions à l'hôtel, et c'est donc là que nous sommes allés. Il y avait d'autres journalistes sur place, mais moins, et nous avons pu entrer sans trop d'encombre. Le manager a fait remarquer, l'air de rien, que ça ferait une belle image, si Zeel portait ton père jusqu'à sa suite par la voie des airs, mais ta mère l'a foudroyé du regard et ton père a rigolé avant de lui apprendre qu'il était plus lourd qu'il n'en avait l'air, et qu'il n'était donc pas sûr qu'elle en soit capable.

Quand nous sommes arrivés dans la suite de ta mère, ton père a annoncé qu'il avait encore besoin de repos et a demandé à s'allonger quelque part. Tout le monde a regardé le canapé du salon, mais c'était bien trop petit. Il n'y avait que le lit de Sylvie qui convenait. Il s'est donc installé là. Il a précisé qu'il en avait pour plusieurs heures, et qu'il aurait faim à son réveil. Puis il a fermé les yeux et il a fait le mort. On l'a laissé tranquille, on n'avait pas vraiment le choix.

C'est là qu'on a pris le temps de souffler, et de se rendre vraiment compte qu'on venait d'échapper à un attentat. Je me suis mise à pleurer. Ta mère en aurait bien fait autant, je crois, mais étant l'aînée, elle a jugé qu'elle devait garder la tête froide et elle a fait de son mieux pour me consoler. Ensuite, on a appelé nos parents pour leur dire qu'on allait bien. Pendant ce temps, le manager s'est occupé des journalistes, des musiciens et des autres employés. Il avait beau avoir ses défauts, il a géré ça comme un chef.

Il y a eu la question de la tournée, aussi : si on voulait annuler la date de demain, la reporter, quitter la ville, arrêter tout... Sylvie avait envie de continuer, ne serait-ce que pour prouver qu'elle ne se laissait pas intimider, mais elle avait peur pour moi et elle se sentait responsable de ce qui était arrivé à son sauveur. Malgré son aplomb et le fait qu'il avait survécu jusque-là, elle voulait s'assurer qu'il n'aurait pas de séquelles.

Enfin, vers dix-huit heures, la porte de la chambre s'est ouverte sur ton père. Tout le monde s'est retourné pour le regarder. Il avait enlevé ses bandages. Il avait l'air fatigué et amaigri mais, à part les cicatrices rosâtres sur son abdomen, il n'avait pas l'air de quelqu'un qui vient de survivre à une grenade à bout portant.

"Si ce n'est pas abuser de votre bonté, j'aimerais bien manger quelque chose", a-t-il demandé. Si si, il l'a bien formulé comme ça. Il faisait son cabotin, tu le connais. Le manager a donné des instructions pour le personnel de la tournée, puis il nous a laissés choisir en room service. Ton père a été raisonnable, pour une fois : il a commandé copieusement, mais à taille humaine, si tu vois ce que je veux dire. Il a dû se dire qu'il nous avait fait assez peur comme ça, avec ses bizarreries.

Bon, ensuite, il s'est rattrapé : non seulement il a fini les assiettes de tout le monde - à savoir Sylvie, le manager et moi, plus deux des musiciens qui nous avaient rejoints - mais il est allé jusqu'à manger les garnitures de tous les plats, le pain, tout. Tranquillement, en discutant avec chacun, comme s'il ne s'était rien passé de particulier. Et après ça, il a redemandé un service.

"Guérir me donne faim" a-t-il simplement expliqué.
"Vous avez été blessé à ce point ?" a demandé le bassiste. Il était loin derrière nous quand la grenade avait explosé, il n'avait rien vu.
"Une bonne partie de mes intestins a été réduite en charpie", a répondu ton père sans interrompre son repas. "Je vous ferais bien la liste des dégâts, mais nous sommes en train de manger".

Quand il a enfin décidé qu'il en avait eu assez, il s'est étiré de toute sa longueur, et on a pu constater que les marques qu'il avait sur le ventre s'étaient bien atténuées depuis tout à l'heure. Lui-même avait l'air bien plus en forme qu'au début du repas.

Après, il a demandé à Sylvie s'il pouvait lui parler en privé, et ils sont allés s'isoler dans la chambre. Ne glousse pas comme ça ! Ils ont juste discuté ensemble, pendant une bonne heure. Ta mère m'a raconté après : ils ont parlé de ce qu'ils étaient et ils ont fait connaissance. Ca a été un moment très important pour elle : c'était le premier mutant qu'elle rencontrait, c'était un soulagement énorme pour elle de savoir qu'elle n'était pas seule, et surtout, de savoir ce qu’elle était.

Pour finir, Sylvie l'a engagé comme garde du corps, et elle a maintenu les dates de concert. Ton père nous a suivis sur toute la tournée, puis pendant les cinq années qui ont suivi. Ensuite, il a rencontré la mère de Franklin, mais c'est une autre histoire, qu'il te racontera mieux que moi.

* * *

- Et voilà, c'est comme ça que tes parents se sont rencontrés.

Janille médita quelques instants sur mes paroles puis demanda :

- Pourquoi ils ne sont pas sortis ensemble plus tôt ?
- Ca, faudrait que tu le demandes à ton père. Il y avait le deuil de Robert, déjà, et puis je crois qu'il y avait un certain poids sur leurs épaules.
- Comment ça ?
- Eh bien c'étaient le seul homme et la seule femme mutants connus, à l'époque. Même s'ils s'entendaient bien, ils ne s'étaient pas choisis. C'était un peu comme si je te disais "tu épouseras Untel parce que c'est le seul garçon mutant de ton âge". Peut-être que plus tard, tu feras connaissance avec lui et que tu tomberas amoureuse de lui, mais si dès le départ tu as le sentiment que tu n'as pas de choix...
- Mais y'a les humains, quand même.
- Ils ne le savaient pas encore. Sylvie et Robert ne voulaient pas d'enfant tout de suite, et ton père n'avait pas de petite amie avant de rencontrer la mère de Franklin, autant que je sache.
- Oui, mais pourquoi...

Je l'interrompis d'un geste.

- Je n'ai pas la réponse, Nini. C'est vrai que ce serait plus facile si ta mère acceptait de t'en parler, mais ça la rend malheureuse, alors tu peux comprendre qu'elle évite le sujet. Quant à ton père... je suppose qu'il n'est pas très fier de lui là-dessus mais, si tu insistes, il finira par céder.
- La dernière fois, il a dit que j'étais trop jeune, répliqua-t-elle avec un air boudeur.
- C'était quand ?
- L'an dernier.
- Eh bien... en fait, je ne peux pas lui donner tort. Tu as beau être très intelligente pour ton âge, il y a des choses que tu ne peux pas comprendre sans avoir eu une certaine expérience de la vie.
- Parce que je suis trop jeune pour sortir avec un garçon ?
- C'est plus compliqué que ça, mais on va dire que oui. Si tu continues à harceler ton père, il cédera peut-être mais, à la réflexion, je doute que tu obtiennes une réponse avant tes quinze ans.

Elle soupira bruyamment, déçue de ma conclusion quoiqu'assez futée pour en reconnaître la justesse. Elle nous resservit du thé, reprit un biscuit, le trempa dans sa tasse et l'avala en deux bouchées.

- Merci de m'avoir raconté tout ça, fit-elle après s'être essuyé les lèvres d'un coin de serviette.
- C'était la moindre des choses. Je n'ai pas beaucoup plus à dire sur ton père, je ne le fréquentais pas beaucoup - il m'intimidait énormément, à l'époque, et toujours un peu maintenant -, mais si tu veux que je te parle de ta mère ou de tes grands-parents, tu es la bienvenue.  Ce qui me fait penser que tes petits-cousins seront là le mois prochain, pour les vacances. Ca leur fera plaisir de te voir.
- Tant que Germaine ne s'amuse pas à me coller ses chewing-gums dans les poils...
- Kelvin lui en a éclaté une bulle sur toute la figure, cet été, je pense qu'elle a compris la leçon.

La conversation se poursuivit sur des sujets plus légers, comme les activités qu'elle projetait de faire avec mes petits-enfants. Nous finîmes notre thé et nos petits gâteaux - elle en mangea la plupart : comme son père, elle avait toujours eu un gros appétit -, nettoyâmes les vestiges de notre goûter, puis je la dispensai de vaisselle et elle prit congé.

Tandis que je lavais et essuyais ma porcelaine, le sujet de notre discussion hantait mes pensées. Car je ne pouvais pas tout dire à Janille.

Pour ma nièce, ses parents, amis depuis toujours, étaient tombés dans les bras l'un de l'autre durant une nuit d'ivresse. Puis son père était parti sans explication le matin même, laissant derrière lui ma soeur endormie et enceinte de ses oeuvres.

Pendant près de deux ans, plus personne n'entendit parler de lui - encore que Sylvie soupçonnât que Franklin ait été au courant de son devenir. Puis il revint et elle le foudroya sur place. Littéralement : je n'étais pas présente, mais j'avais vu l'état du sol, vitrifié par les manifestations de sa rage.

Elle ne m'en avait pas raconté les détails et je n'avais jamais osé les lui demander. "Maman était très en colère contre Papa", avait commenté Janille un jour que nous nous promenions toutes deux sur la plage et que nos pas nous avaient guidés vers les vestiges de leur confrontation.

Depuis, la situation s'était apaisée, en quelque sorte : elle avait décidé qu'il était mort à ses yeux - assez ironique envers lui - et si par malheur ils devaient se retrouver dans la même pièce, elle ignorait superbement sa présence. Lui de son côté, semblait l'éviter autant que possible et ne se manifestait auprès de leur fille que lorsque Sylvie était hors de portée.

Mais je me rappellerai toujours ce soir d'août, lorsque je la vis sortir de cette chambre d'hôtel : le regard qu'elle posait sur cet homme étrange qui la précédait hors de la pièce. J'étais jeune, à l'époque, mais je savais reconnaître cet éclat dans ses yeux :

Pour elle, il n'y aurait jamais plus qu'un homme, et c'était celui-là.



Commentaires

  1. ... Wow ^^ Cet extrait est beau.

    J'ai remarqué deux toutes petites choses, si ça peut t'être utile :

    "Elle nous resservit du thé, reprit un biscuit le trempa dans sa tasse et l'avala en deux bouchées."
    -> Rien de grave, simplement je dirais qu'il manque une virgule entre "un biscuit / le trempa" :)

    "Kelvin lui en éclaté une bulle sur toute la figure, cet été, je pense qu'elle a compris la leçon." -> Kelvin lui A éclaté une bulle ? =) (ou "Kelvin lui en a éclaté une bulle...")

    Comme ce que j'ai pu lire jusque là de tes textes, c'était très facile à visualiser. Vraiment, on s'immerge dans les scènes, sans mal, on a l'impression d'être avec eux en quelque sorte. L'attentat, on le voit depuis les yeux de Suzanne, comme au ralenti pour mieux cerner tout ce qu'il se passe.
    Au passage, la scène m'a bien plu ^^

    Et puis j'adore ta manière de conclure. À chaque fois, tu termines l'extrait avec... *je perds mes mots, au secours* pas une "morale", mais une sorte de phrase-bilan, toujours belle et bien tournée.


    Hors sujet, mais : je vais devoir m'absenter une semaine. Avant cela, quelque chose trotte dans ma tête, et je dois t'en faire part ^^ En fait, sur l'Attelage - un site de SF/Fantasy/Fantastique - on furette un peu de temps à autres à la recherche de personnes qui, en quête d'édition ou non, mettent leur coeur dans ce qu'ils écrivent. Des personnes qui veulent sincèrement s'améliorer et/ou parfaire leurs oeuvres, les partager avec les lecteurs, offrir du contenu et s'ouvrir aux auteurs satellites qui travaillent avec nous.
    On a, par exemple, des illustrateurs, qui font des dessins géniaux en rapport avec nos univers ! On a même un musicien compositeur - qui fait un travail bluffant - des cartographes... Bref ! On monte à la force de nos petits bras musclés un petit monde de SFF, un monde aussi varié que possible, sans se borner uniquement à la littérature, mais en se servant d'elle pour nourrir d'autres types d’œuvres et... voilà, j'aime beaucoup ce que tu écris, et je me dis que, si jamais ça t'intéresse, tu serais plus que la bienvenue parmi nous :) Et c'est tant à la personne qu'à l'auteure que je m'adresse ^^

    Sache que c'est juste une proposition, hein ! Tu as tout à fait le droit de ne pas accepter ; peu importe ta réponse, je continuerai de te lire tant que possible ^^
    Dans le cas où ça pourrait t'intéresser, même sans certitude, je t'invite à jeter un oeil (ou deux) sur attelage.net :) On ne croque personne, bien au contraire, on a un forum avec pas mal de mouvements, un tchat... et on est tellement contents quand une nouvelle tête se présente !

    Aussi, on est "tout neufs" ! Nous fêterons nos 5 mois dans une semaine, sans doute en même temps que nos 330 membres :) ActuaLitté a fait un article sur nous, si tu veux, ça résume pas mal de choses : http://www.actualitte.com/article/monde-edition/l-attelage-rassemblement-d-auteurs-independants-une-experience-communautaire/59888

    Bon... Je vais arrêter de te spammer, haha ^^' Je suis vraiment désolée de t'avoir embêtée avec ça aussi longuement, mais ça me démangeait tellement que... je ne pouvais pas m'en empêcher.

    Si jamais tu veux faire un tour sur le site, je crois que Maxime (affreusement gentil malgré ce qu'il s'est passé à Madmoizelle) ou même Marion, Julien et Antoine, seraient ravis de t'accueillir, tout comme les autres membres :D Comme ça, tu pourrais voir comment ça fonctionne !
    (D'ailleurs, Maxime est venu te lire mais, de peur que tu aies une mauvaise image de lui, il n'a pas osé commenter :()

    En tout cas, je reviendrai vite te lire au plus vite :)
    Prends soin de toi, et continue d'écrire.

    Karole S.

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    1. Merci pour tes corrections, je vais les reporter.
      Pour le reste, je vais jeter un oeil sur l'Attelage, mais je doute de m'y inscrire : je fais déjà partie de plusieurs communautés (dont Cocyclics, pour l'écriture, cf lien dans la colonne de gauche), et je doute d'avoir du temps à consacrer à une de plus :/

      Bonnes vacances à toi, et ce sera un plaisir de te voir traîner par ici :)
      (Et si Max veut venir commenter, qu'il ose ;))

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    2. [je suis de retour !]
      Aucun souci ^^
      Et pas de souci non plus pour l'Attelage, je comprends ;)

      Je fais passer à Maxime, hihi ! :p

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